Bas les masques ?
A Lille, en novembre dernier avait lieu devant 500 managers une conférence intitulée : « Leaders en vérité » organisée par EVH, une association de dirigeants engagés dans un travail sur eux-mêmes et sur le sens de leur engagement. La douzaine d’entre eux qui a pris la parole a surpris, touché et, au final, conquis l’auditoire : dans leur témoignage, ces hommes et ces femmes osaient enlever le masque pour se montrer tels qu’ils étaient, avec leurs joies et leurs rêves mais aussi leurs limites et leurs doutes.
Pourquoi ces partages étaient-ils inspirants malgré le partage de ces fragilités ? Parce qu’ils avaient justement décidé de regarder ces dernières en face, de les assumer et de les transformer en une sensibilité émotionnelle ou spirituelle qui les guidait dans leur action et dans leur vie. Loin des discours convenus des dirigeants lisses et sans faille, ces témoins avaient décidé d’être authentiques.
Et ce faisant, ils ont aussi osé mettre en lumière cette évidence : oui, il est difficile aujourd’hui d’être un leader humaniste dans un monde complexe et en pleine mutation. Et le chemin personnel qui permet à un manager de se hisser à la hauteur des enjeux exige qu’il aille regarder à l’intérieur de lui ses ors comme ses ombres. Il exige de lui qu’il apprenne à déjouer certains pièges de l’égo pour se brancher sur ses aspirations les plus profondes. C’est un chemin qui permet de re-rêver sa vie d’abord. Et de redonner du souffle à son engagement professionnel ensuite.
« Trouver sa VOIE et faire entendre sa VOIX »
La phrase est de Stephen Covey* et elle résume selon moi en condensé l’invitation belle et essentielle qui est adressée aujourd’hui à ceux qui veulent faire bouger les lignes, un cheminement en deux étapes déjà emprunté par des pionniers dont les voix puissantes me redonnent de l’espoir quand je doute qu’il est possible de changer ce système à bout de souffle qui est le nôtre.
Trouver sa VOIE, c’est s’octroyer le temps d’une introspection en profondeur pour aller à la rencontre de sa vocation en tant qu’être. Chacun d’entre nous peut trouver sa vocation. La notion de raison d’être personnelle ou de « higher purpose » est désormais au cœur des recherches sur le leadership. Elle invite à dépasser le modèle, pourtant déjà noble, de « servant leader » (un leader humble qui se met au service de ses équipes) pour aller vers un leader qui met son action au service d’une cause plus grande que lui. Un noble but dont la dimension dépasse les enjeux et les intérêts de sa seule organisation. Dans ce mouvement, il ne s’agit pas s’oublier soi-même au profit d’une cause extérieure à soi et parfois écrasante. Il s’agit au contraire d’aller pleinement vers soi, vers ce qui nous est le plus cher à vivre et à transmettre, vers ce qui nous nourrit le plus en profondeur.
Porter sa VOIX, c’est ensuite avoir le courage de témoigner. C’est-à-dire de partager ce que l’on vit dans ce parcours qui mêle accomplissement personnel et engagement. Ce n’est pas vouloir être exemplaire ni ériger son parcours en modèle. C’est simplement témoigner et parler en « je », au plus près de ses émotions.
Aujourd’hui, notre époque offre des moyens de communication de masse inédits dans l’histoire : un simple tweet peut faire le tour de la planète ; une vidéo inspirante postée sur Youtube peut inspirer et éveiller des milliers d’entrepreneurs ou de cadres qui souhaiteraient changer les choses mais n’osent pas ou ne savent pas comment faire. Chacun d’entre nous a la possibilité de dire et partager sa vérité.
Voici l’une des belles responsabilités qui échoit leader éclairé : s’il veut contribuer positivement au monde, il doit assumer pleinement ses opinions, ses valeurs mais aussi ses rêves et sa raison d’être personnelle en les faisant connaître au monde. Il doit prendre la parole à partir d’un endroit inhabituel : lui. Avec ses émotions et ses aspirations existentielles.
S’il est authentique, ce partage n’a rien d’égotique ni de narcissique, il est au contraire précieux. Car si chaque acteur du changement parle non seulement de son engagement, mais aussi de son vécu plus personnel, de ce qui le fait vibrer au fond de son être, alors il ne fait pas que partager des idées : il contribue à ouvrir les cœurs. Chez beaucoup, les esprits sont déjà prêts au changement, c’est le courage d’agir qui fait encore défaut. Et le courage, cela consiste à agir à partir des élans du cœur.
Si tous les change makers prennent la parole, alors, leurs voix conjuguées deviendront audibles et leurs valeurs un jour majoritaires. Si chaque leader éclairé porte sa voix, les consciences s’éveilleront même au sein des entreprises les plus mercantiles.
Les portraits à la « mode CAPITAL » (du type : « cet entrepreneur de génie pèse à lui seul 20 millions de… ») ont fait long feu ; y croyez-vous encore ? Ces caricatures de parcours à succès ne reflètent pas la vie réelle. Aujourd’hui, si nous voulons changer le système et embarquer le plus grand nombre d’acteurs et de décideurs, il faut bien sûr communiquer sur les projets concrets (les innovations technologiques ou managériales, les modèles innovants et sociaux, le bonheur au travail…) mais il faut aussi, simultanément, que ceux qui les portent partagent leur grand « WHY » et en quoi il nourrit leur chemin de vie et leur apporte de la joie.
Bien sûr, la modestie ou l’humilité se mettront au travers de votre route : « qui suis-je pour donner des leçons ? ou bien « ce que je fais n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des besoins du monde ». Cela a aussi été très difficile pour moi de parler de moi au début. Pudeur, peur d’être incompris, jugé… Mais j’ai pu constater que cela me permettait de rester au plus près de moi-même, tout en m’assurant que je restait bien en contact avec cette flamme intérieure qui m’anime désormais dans ce que je fais. Alors, en début de chaque conférence ou de chaque retraite, je commence par une introduction toute simple (et encore difficile parfois) : « avant de commencer, j’ai envie de vous partager pourquoi je suis ici avec vous aujourd’hui et en quoi ce que nous allons vivre ensemble me procure de la joie et nourrit ma mission».
Alors, trouvez votre voie et portez votre voix, le monde en a besoin.
@Romain Cristofini – février 2018
* Stephen Covey – la 8ème habitude