Les opportunités de la crise résident dans le coeur des collaborateurs
Pour traverser mais surtout grandir avec la crise, les entreprises peuvent aujourd’hui enclencher une évolution historique majeure : celle d’inviter chaque collaborateur à devenir acteur de la transformation sociétale. Dirigeants et managers peuvent ouvrir ce gisement extraordinaire d’énergie, d’enthousiasme et de résilience.
Par Romain Cristofini
En cette période troublée, dirigeants et managers sont plus que jamais appelés à donner un cap à leurs collaborateurs. Mais comme cette mission est difficile quand il n’est plus possible de se projeter dans l’avenir !
Le risque pour un manager dans une crise qui s’éternise est bien connu : c’est celui de l’épuisement (physique et émotionnel), de l’abattement ou du cynisme (refouler sa souffrance et celle des autres).
Mais il en est un autre, plus subtil mais aux conséquences peut-être lourdes à moyen/long terme pour l’organisation : celui de passer à côté de la véritable opportunité qu’offre cette crise à votre entreprise.
Les habituels réflexes managériaux de crise peuvent vous faire passer à côté de l’essentiel
Il est communément admis dans le discours managérial qu’il faut « savoir transformer une crise une opportunité ». Soit.
Ce mantra (qui fait écho à la traduction de l’idéogramme chinois qui signifie à la fois « danger » et « opportunité ») s’applique assurément à ce que nous vivons aujourd’hui dans les entreprises.
Cependant, tout dépend du type d’opportunité que vous êtes en mesure de capter…
Si dans cette crise-là, les habituels réflexes « business » reviennent et accaparent toute votre attention pour inventer de nouvelles tactiques commerciales, lancer de nouveaux produits ou disrupter le marché, vous risquez de passer à côté de la compréhension de la nature même de cette crise. Pour constater que, cette fois-ci, ces vieilles techniques de rebond ne suffiront pas.
La crise actuelle est profonde et systémique. Et elle inclut une dimension existentielle et ontologique qui vient percuter les êtres spirituels en quête de sens que nous sommes (y compris au travail).
Alors, en tant que leader, l’ « optimisme de façade » qui est souvent de rigueur quand le bateau tangue est-il adapté ? Cette volonté de rebondir au plus vite n’a-t-elle pas tendance à se transformer en une œillère inconsciente qui empêche d’accuser pleinement réception de ce que cette crise nous invite à entendre ?
Les plus grandes opportunités RESIDENT dans leS cœurS deS COLLABORATEURS ET LEURS DESIRS POUR LE MONDE
Il y a un mois et demi, j’animais une retraite d’équipe de trois jours pour une vingtaine de managers de Haute-Savoie Habitat et leur directeur général. En pleine forêt, au cours d’un processus invitant chacun à exprimer ses émotions face l’état de notre planète, cette réalité s’est à nouveau imposée à moi : tous, sans exception, étaient pleinement conscients des enjeux qui pèsent aujourd’hui sur l’humanité. Peur, colère, désarroi, tristesse se sont exprimées sans fard. Il n’y eut aucune posture de déni, aucune tentative de relativiser intellectuellement tous ces défis sociétaux et environnementaux qui nous menacent…
Les dirigeants d’entreprise doivent entendre pleinement cette réalité : chacun de leurs collaborateurs vit cette époque tourmentée dans sa chair. Chacun – à un niveau plus ou moins conscient – a compris que l’avenir de nos enfants est en jeu.
Même si les émotions sont douloureuses à cet endroit et pourraient nous inviter à nous en détourner, c’est pourtant là que réside la véritable opportunité de cette crise. L’émotion vient du latin « emovere » qui signifie « mouvement vers l’extérieur » : elle est un élan de l’être.
Deux options s’offrent désormais aux entreprises :
- Continuer à « faire semblant » de ne pas voir cette réalité ; décider de la laisser volontairement à l’extérieur de l’entreprise, car après tout, ce n’est pas directement son rôle et elle doit peut-être se concentrer sur sa survie.
- Ou bien, au contraire, décider d’embrasser cette réalité, d’en faire une sorte de « green deal corporate interne » pour y trouver un levier extraordinaire de réengagement des collaborateurs et d’innovation insoupçonnée pour l’entreprise.
Voici la véritable opportunité : avoir un discours vrai sur la réalité du monde pour permettre aux collaborateurs d’aller toucher en eux leur désir d’agir pour la société, pour la planète ou pour leurs enfants. Comment la saisir ?
En écoutant les collaborateurs et en s’appuyant sur leurs désirs et leur énergie.
L’opportunité consiste à ouvrir des espaces d’intelligence collective pour laisser émerger des projets un peu « fous » mais porteurs de sens et d’enthousiasme.
Ce travail est doublement bénéfique : il redonnera de la perspective à l’entreprise et à ses collaborateurs dans une période où nous en manquerons cruellement.
Bien sûr, la question du « timing » est importante : la conjoncture actuelle ne permettra peut être pas de lancer tout de suite ces projets si l’entreprise est en difficulté. Mais c’est bien maintenant qu’il faut en semer les graines.
L’entreprise citée précédemment l’a bien compris : la crise n’invite pas à se recroqueviller sur soi dans l’espoir tout cela passe. Après avoir « ouvert les cœurs » des collaborateurs en 2018, elle a décidé d’ « ouvrir les esprits » et d’inviter chaque collaborateur à contacter sa part spirituelle pour s’engager pleinement dans des projets au service des parties prenantes de l’entreprise.
Pour participer à un monde meilleur, autour de soi.
Redonner aux collaborateurs leur pouvoir d’agir dans leur vie et pour la société représente aujourd’hui l’une des plus nobles tâches des leaders éclairés.
C’est aux leaders qu’il incombe d’ouvrir cette voie. C’est à eux qu’il incombent de dépasser leurs vieux réflexes, leurs propres peurs (d’être jugé, incompris ou seul) pour oser franchir ce seuil : celui de faire progressivement coïncider le projet d’entreprise avec ce que nous vivons et aspirons à offrir en tant qu’êtres humains.